L’humain, pierre angulaire de l’industrie 4.0

Les objectifs de la 4ème révolution industrielle sont de répondre aux enjeux d’efficacité, de qualité et d’excellence de fabrication. Dans une quête de rentabilité, la transformation 4.0 déplace le travail, modifie le contenu des métiers et mobilise paradoxalement, davantage de compétences humaines dans un univers toujours plus automatisé.

Véronique Blanc-Brude, chercheure en sciences de gestion

Comment la gestion des ressources humaines peut-elle s’emparer d’une (r)évolution technique mais aussi systémique et interactionnelle ? Prenons le cas de cette fabrique française qui produit des puces ou semi-conducteurs. Pour satisfaire les demandes de clients de plus en plus diversifiées, les processus de fabrication industrielle se voient implémentés de technologies 4.0 afin d’atteindre un niveau maximal d’automatisation. Aux côtés de machines poussées au maximum de leurs capabilités, trois types de métiers (production/maintenance/qualité) produisent près de 75 millions de puces par mois en continu. La performance repose sur la capacité des techniciens à ne pas interrompre le flux de la matière. L’évolution des systèmes d’information au sein d’environnements nécessite un haut niveau de sécurité et favorise la création de situations de travail complexes. Elles sont qualifiées de dynamiques, car soumises à une pression temporelle, une évolution perpétuelle et des sous-tâches concurrentielles.
Une expérience clinique RH
Rentabilité oblige, il est de règle de sur-optimiser les taux de rendement des équipements et des produits, qui sont condamnés à la haute performance. Atteindre cette productivité maximale repose sur l’alignement entre management des opérations et complexité de fabrication. Le site industriel cherche à éliminer les pertes de productivité en temps réel, nécessitant l’intervention humaine. C’est dans le cadre d’une gestion de projet itérative pilotée par l’ingénierie que notre recherche est venue s’inscrire, l’ingénierie avance par effets de seuil et crante différentes expérimentations.
Premières impressions
Aux antipodes d’un univers déshumanisé et robotisé, la salle blanche est une fourmilière grouillante. A côté des robots, des hommes en bleu ou blanc suivent le chemin de « la plaque » à la trace, courent après un poste de travail chaque jour un peu plus repoussé par l’équipement et œuvrent ensemble pour réaliser le plus d’activités possible. De prime abord, le travail des techniciens en salle semblerait invisible. Travaillant comme sous-traitant, ils fabriquent un produit qui ne se voit pas, assistés d’outils d’aide à la décision, dans un univers caché et à distance de la matière. Des individus en combinaison intégrale partagent avec fierté leur sentiment d’appartenance et cette course à la performance quasi addictive. Cette course à « l’acti » est le résultat d’une lutte contre une saturation cognitive liée à un flux continu de données de production et de pilotage. De quoi complexifier la prise de décision des techniciens.
Premiers résultats
Cette transformation 4.0 jugée par certains comme la fin de la prod pure et dure, transforme le milieu et le travail de l’opérateur de production polyvalent. Devenu technologue ultra vigilant, son rôle n’est plus de conduire les équipements et les lots par atelier mais de maitriser les systèmes d’information. Trier, analyser cette abondance de données pour proposer la meilleure route, ne va pas de soi. La focalisation sur les data multiplie les dysfonctionnements et nécessite davantage de communication entre les hommes. La prise de décision plus complexe donne lieu à des arbitrages permanents entre productivité, qualité et état personnel. En réalité, la subjectivité au travail souvent mal saisie, ne peut déployer ses promesses en termes de pouvoir d’action. La prise de décision repose sur la capacité de savoir mettre une fonction au service d’une autre : ses émotions au service de sa pensée et inversement. L’enjeu est de démontrer qu’une organisation doit se saisir de la subjectivité au travail par sa capacitance en tant que moteur du pouvoir d’action individuel.

Comment opérationnaliser ces apports théoriques vérifiés sur un terrain de recherche ?
• Co-analyser et reconnaître les compétences mobilisées en situation
• Organiser des espace-temps dédiés pour croiser les regards sur le travail
• Développer la capacité à élaborer le travail
• Revisiter les critères de performance par l’évaluation des moyens mis en œuvre pour atteindre les résultats.

Cette recherche clinique RH embarquée dans le secteur de la microélectronique contribue à nourrir les référentiels de compétences en évolution liés à la transformation 4.0.

Véronique Blanc-Brude est doctorante-chercheure en sciences de gestion à l’Université Grenoble Alpes, France. Son travail de recherche porte sur l’impact de l’automatisation 4.0 sur le métier de Technicien Opérateur de Production dans le secteur de la microélectronique. Son champ d’activités a trait entre autres à l’évolution du travail et des métiers. www.veroniqueblancbrude.com

Véronique Blanc-Brude mise sur l’humain comme clé de voûte de l’industrie 4.0.

La transformation 4.0 jugée comme la fin de la prod pure et dure, transforme le travail de l’opérateur de production en polyvalent.
Aux antipodes d’un univers robotisé, la salle blanche est une fourmilière grouillante


L’évolution des systèmes d’information nécessite un haut niveau de sécurité et favorise la création de situations de travail complexes.