Danielle Ackermann, une vie dans le décolletage

lle a l’habitude de saluer chaque matin tous les formateurs et apprentis. Elle, c’est Danielle Ackermann, directrice du Centre d’apprentissage de l’Arc jurassien, le CAAJ à Moutier. A vrai dire, cette passionnée d’opéra italien a toujours baigné dans le monde du décolletage. Visite de ce centre de formation.

La reprise et le contrôle de pièces n’ont aucun secret pour elle. « J’ai été amené à faire plein de choses au sein de l’entreprise de mon mari, confie Mme Ackermann, il fallait angler des pièces, reprendre une pièce, monter et démonter la pince. J’ai tout appris dans la société familiale fondée en 1978 à Bassecourt, Mon époux a toujours formé des apprentis. Sur les douze employés, il y en avait au moins un en formation. » Le hasard est le seul Dieu sans temple disait Malraux. En mars 2014, elle pousse la porte du CAAJ, juste pour une visite. Un de ses amis, membre du conseil d’administration la sollicite pour s’occuper de l’administration, afin de décharger les formateurs de la paperasse ! « J’avais à peine posé un pied dans l’atelier, que mes souvenirs sont revenus, ces machines à cames, ces odeurs, tout me ramenait à l’entreprise familiale. C’était ma madeleine de Proust. Je me suis sentie tout de suite dans mon élément. »

Cette passionnée du décolletage fait ses débuts trois jours plus tard dans ce centre en se fixant deux objectifs avec Dominique Lauener, alors président du conseil d’administration. Il n’y a pas de fonds de formation dans le canton de Berne, la formation des apprentis est assurée par des coopératives comme les CAAJ ou des entreprises mais pas assez. En une décennie, le nombre d’entreprises sociétaires formatrices de ce centre de formation a été multiplié par deux. De 11 à 22 ans en dix ans ! Premier objectif largement atteint.

Propre et lumineux

Le deuxième objectif avait trait au déménagement du CAAJ. « Tout était poussiéreux dans l’ancien atelier confie Danielle, qui n’était plus représentatif de ce qui se fait en entreprise. Je voulais en finir avec cette image rance sur fond d’huile suffocante et de murs borgnes. Notre nouveau siège à Moutier est propre et lumineux, conforme aux canons actuels de la production. » Dès son arrivée, elle n’a eu de cesse de promouvoir le décolletage et les métiers techniques en offrant la possibilité aux jeunes des deux Jura de faire des stages. « Nous ne sommes plus à la mine aime-t-elle le répéter, c’est en organisant des visites de classes et des stages que l’on peut détruire ces clichés passéistes et susciter des vocations, »

Ponce Pilate

Son cheval de bataille demeure la formation, d’autant plus que près de 200 décolleteurs de la région prendront leur retraite dans les prochaines années. Que faire ? Selon Danielle Ackermann, il est essentiel de recruter davantage d’apprentis, mais il faut surtout responsabiliser les entreprises. Beaucoup d’entre elles se cachent derrière leur statut de PME afin de faire le Ponce Pilate. Pour ces dernières, il incombe aux grandes entreprises ou aux cantons de prendre en charge la relève de ces dernières. Ce qui est faux ! « Nous devrions sensibiliser davantage ces petites structures aux bénéfices d’un apprentissage du CAAJ, affirme sa directrice. » A la décharge de ces PME, la formation a subi de nombreux changements. Il faut désormais bien superviser l’apprenti et rédiger régulièrement des rapports de formation. Il n’est plus possible pour le formateur de laisser son apprenti se débrouiller seul, il doit lui consacrer un temps considérable avec le risque de moins produire. Cela justifie l’intérêt du CAAJ car il s’agit d’une véritable formation duale.

Barrière de röstis

Pour autant, il existe une véritable barrière de röstis dans le monde de l’apprentissage. « En Suisse alémanique, un établissement est honoré d’avoir un apprenti et d’être une entreprise formatrice, explique Danielle Ackermann. En Suisse romande, tout le monde veut poursuivre des études universitaires et charge à l’État de s’occuper de nos apprentis. L’industrie a perdu sa vocation de transmettre son savoir. Et réalité, plus on en forme, moins il y aura de défections. Dans le canton du Jura, une étude réalisée en 2018 a mis en évidence le fait que seulement 20 % des entreprises, dans tous les secteurs, proposaient des places d’apprentissage ! Par comparaison, en Suisse alémanique, le double des entreprises employait des apprentis. »

Machines à cames

À la question de savoir si le domaine du décolletage a subi de nombreux changements ? Sa réponse est catégorique : « Le décolleteur ne se limite plus à un simple métier ». Il s’agit d’un mécanicien spécialisé dans le décolletage, qu’il soit micromécanicien ou polymécanicien spécialisé dans le décolletage. Autrefois, la formation du décolleteur se limitait aux machines à cames. Lorsque la CNC est arrivée en 1985, le métier est devenu plus technique, voire mécanique. Il ne s’agit plus que tournage automatisé. De nos jours, les centres d’usinage réalisent diverses opérations avec une plus grande valeur ajoutée. »  Le décolleteur ne se limite plus à un simple métier.

Le CAAJ tiendra sa Journée Portes Ouvertes le vendredi 27 septembre 2024 de 14 h à 20 h. https://caaj-moutier.ch/

En dix ans, le CAAJ a doublé le nombre de ses entreprises formatrices, soit de 11 à 22.

Formation

Le CAAJ offre une formation aux polymécaniciens généralistes, aux polymécaniciens et aux mécaniciens de production, spécialisés dans le décolletage. Deux options se présentent à eux : l’usinage général ou le décolletage. Deux choix sont disponibles pour devenir micromécanicien lors de la troisième formation : le décolletage ou l’étampage. Les fondements de ces trois professions sont semblables. La mécanique reste l’élément central. Le domaine de la formation est en perpétuelle mutation. L’industrie évolue rapidement et on peut observer un décalage entre la formation et les besoins des entreprises. La réforme des métiers en 2027 permettra d’ajuster plus précisément les besoins de la branche.

Pédagogie

Le CAAJ compte trois formateurs à plein temps pour 27 apprentis, parmi lesquels trois filles. Ces chevronnés de la production ont vécu l’entreprise. La pratique est bien le fondement de la théorie ! Ces enseignants suivent un parcours pour développer leurs compétences pédagogiques à la Haute École de Formation Professionnelle (HEFP) à Renens, près de Lausanne. Le diplôme s’obtient à l’issue de 600 heures de formation. Le CAAJ compte un apprenti âgé de 42 ans, en quatrième année de formation en tant que polymécanicien. Cette réinsertion professionnelle prouve que la demande existe si les entreprises s’engagent.

Sas de passage

Le CAAJ offre une transition entre l’école et le monde du travail, souvent très dur. L’adolescent entre dans le milieu professionnel en douceur avec des formateurs et des horaires précis. Le centre dispose de 53 machines conventionnelles en mécanique et en décolletage sans assistance de logiciels. Les apprentis apprennent les bases sur les machines conventionnelles afin de comprendre le cœur de leur métier. Par la suite, ils passent au numérique. Les apprentis qui jettent l’éponge ne sont que de 8% au CAAJ de Moutier, Jura bernois, contre 24% dans le Jura et 36% à Genève !